Ni pot ni enveloppe

À 64 ans, il est temps
de partir en retraite.

Il faut laisser la place aux jeunes.

Il ne fait aucun doute que la Seine-Saint-Denis, qui regorge de tant de vitalité et de jeunesse, dispose largement de toutes les ressources permettant de proposer, au centre culturel de la ville des Lilas, une activité culturelle informatique de qualité.

J’ai la certitude que la personne qui devrait me succéder saura mettre à profit toutes ses connaissances techniques et pédagogiques pour satisfaire les multiples attentes du public local, quel que soit l’âge, le milieu social, le niveau de connaissance ou la thématique demandée.

Les champs thématiques des ateliers sont infinis : bureautique, MAO, PAO, DAO, photomontage numérique, blogging, podcasting, gaming, stop motion, montage vidéo, codage en ligne, programmation, hacking, makerspace, bidouillage…

J’ai déjà mis en place plusieurs de ces activités, notamment lors d’ateliers avec les enfants. Il n’y a plus qu’à prendre la relève.

L’offre numérique municipale ne se limite pas au centre culturel. Il y a, certes, ce poste, que j’ai occupé, mais ce n’est pas tout.

La collectivité a recruté, il y a peu de temps, un médiateur numérique, chargé d’accompagner individuellement les usagers, notamment dans le traitement des services administratifs en ligne.

Ce recrutement ne fait que combler un manque. Les missions d’accompagnement numérique incombaient, depuis 2001, au PointCyb du Kiosque. Elles ont été interrompues depuis la pandémie (avril 2020).

Il me semble important de rappeler, qu’avant cette interruption de l’offre, plusieurs animateurs (dont moi-même, à raison de 6 heures par semaine) se sont succédé pour assurer, sur plus d’un poste à temps plein, un accompagnement individuel du public dans l’utilisation des technologies numériques. Cette offre reposait sur le principe du libre accès, sans aucune discrimination (notamment l’âge).

Cette forme d’accompagnement du public n’est plus assurée sur la ville, puisque le Kiosque s’est recentré sur son public « jeune » de référence. Aucune solution de remplacement n’avait été mise en place, jusqu’à l’arrivée récente du médiateur numérique.

Je te salue fraternellement, mon cher collègue ! Tu vois que tout le monde t’attendais avec impatience.

Je te souhaite un parcours riche en rencontres humaines et en expériences sociales, car n’oublions pas que notre métier, s’il repose sur un socle de connaissances techniques, consiste à établir, avant tout, du lien social, par un service de proximité, rendu de personne à personne. Rien à voir avec cette détestable administration dématérialisée qui n’a d’autres buts que de dresser un écran entre la population et le service auquel elle devrait avoir droit.

A priori, cher collègue, tu n’interviendras pas pour me remplacer sur les ateliers informatiques du centre culturel de la ville des Lilas. Cela ne fait pas partie de tes missions, lesquelles sont déjà très conséquentes. Il n’y a qu’à regarder ta fiche de poste.

J’insiste sur ce point car la communication donnée par la ville laisse entendre que le médiateur numérique pourrait intervenir pour me remplacer au centre culturel. À moins d’avoir affaire à un extraterrestre, disposant du pouvoir de téléportation et du don d’ubiquité, je ne vois pas comment cela pourrait être possible.

Il faudra, par conséquent, recruter quelqu’un d’autre sur « mon » poste. La demande du public est forte. Je ne me suis pas tourné les pouces pendant toutes ces années.

À la sortie du second confinement, quand j’ai eu la confirmation que je ne travaillerai plus au Kiosque, j’ai proposé de remplacer ces heures en créant des ateliers numériques au club seniors des Hortensias. Nous n’avons eu aucune difficulté à constituer deux groupes hebdomadaires, chacun étant constitué d’une dizaine de personnes.

En faisant le décompte des services pour lesquels j’ai travaillé sur la ville, je me rends compte que le poste que j’occupe répond incontestablement à une nécessité. Je suis passé au centre culturel (qui représente mon activité principale), au service jeunesse, au PointCyb du Kiosque, au centre de loisirs et au club des Hortensias. De plus, la DRH m’a demandé de former les collègues en bureautique et, en fin de carrière, j’ai même accompagné des élus municipaux.

Assurément, l’employeur reconnaît la valeur du travail effectué et je lui en tiens grâce mais, il s’en est fallu de peu pour, qu’à plusieurs reprises, au gré des réorganisations de service ou pour des raisons inexpliquées, certaines de ces heures itinérantes disparaissent définitivement de mon emploi du temps. J’ai connu quelques sueurs froides, en particulier, lorsque j’étais contractuel.

J’espère que les décisions seront prises pour pérenniser et actualiser les missions de service public de proximité qui m’ont été confiées et que j’ai eu l’immense plaisir d’effectuer depuis près de 23 ans aux Lilas.

À défaut, j’espère que « mes » 33 heures hebdomadaires sur 40 semaines par saison seront redéployées sur d’autres postes du centre culturel, voire, sur d’autres services de la ville.

Je l’espère mais j’ai les plus grands doutes à ce sujet.

Sachez, chers collègues, que si j’ai annoncé en réunion de service, l’hiver dernier, que je refuserai toute célébration usuelle (pot, enveloppe, cadeau, etc.) pour mon départ en retraite c’est en grande partie parce que j’anticipais le fait que mon poste à Anglemont ne serait pas reconduit.

À quelques semaines de l’échéance, ces prévisions n’ont malheureusement pas été démenties. Les usagers ont été prévenus, au début du mois de juin, qu’il n’y aurait pas de réinscription aux ateliers informatiques du centre culturel.

Plus que l’emploi ou même le poste, c’est le principe même de la pérennité des missions de service public qui est en jeu. Accepter la disparition d’un poste de service public signifie que l’on accepte la possible disparition de tous !

Il ne tient qu’à vous, chers collègues du centre culturel, de vous assurer que les heures des ateliers informatiques d’Anglemont seront effectivement reconduites. C’est aussi la pérennité de vos propres heures qui est en jeu, que vous soyez titulaire ou contractuel.

Cet appel à la vigilance s’adresse, plus généralement, à tous les agents de la ville et du CCAS, quel que soit le poste et le service concerné. J’ai la certitude que mes camarades de la CGT des territoriaux des Lilas défendront, comme toujours, le service public et les emplois des agents mais tout me porte à penser qu’il sera nécessaire de donner plus de poids au syndicat pour peser dans les choix de l’employeur.

À 6 mois des élections professionnelles, plutôt que l’enveloppe, vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous souhaitez me faire plaisir pour mon départ en retraite.

J’ai bien conscience que mon refus du rituel du départ en retraite, accompagné de la publication du présent texte suscitera, très probablement, sarcasmes et soupirs d’exaspération : « Ah, mais pour qui se prend-il, encore ? Il ne peut pas rester à sa place ? »

Ce n’est pas la première fois. Peu m’importe. Si cela permet d’obtenir la garantie d’une reconduction de ces heures, alors il n’y a aucun problème : le jeu en vaut largement la chandelle.

Une autre raison, plus générale, m’a conduit à refuser le rituel du départ en retraite.

Je suis certain que « mon pot de départ en retraite » aurait pu rassembler un certain nombre de personnes : collègues, employeurs et usagers. Sans aucun doute, tout le monde aurait manifesté sincèrement sa sollicitude à mon égard. Cela aurait été chouette.

Ce n’est nullement de la vanité de ma part que d’évoquer cette hypothèse. Cela s’explique :

J’ai habité aux Lilas pendant plus de trente ans (je n’y suis plus). J’ai été militant associatif local et militant syndical. J’ai occupé un emploi municipal en contact avec le public, sur différents sites, depuis 1999. Autant dire qu’il m’est difficile de traverser le « village » sans rencontrer au moins une personne que je connais.

Beaucoup de collègues de la ville ou du CCAS ne font pas l’objet d’une telle visibilité ou de ce type de reconnaissance sociale. Quand des agents – le plus souvent, de catégorie C – quittent, parfois après plusieurs décennies de service, leur crèche, leur école, leur bureau, leur atelier… pour une mutation ou à l’occasion d’un départ en retraite, il arrive très souvent que le rituel se limite à un pot, le midi, dans la salle de repos, entre copines ou copains du boulot.

Contrairement à la plupart des départs des directeurs, des chefs de service ou de personnes bénéficiant d’une certaine reconnaissance sociale, aucune information officielle n’est envoyée pour inviter les collègues de la collectivité aux départs de ces « agents de base ». De toute façon, l’organisation incombant essentiellement aux intéressés, il est peu probable que les autorisations d’absence soient délivrées pour participer au festivités.

Je désapprouve cette invisibilité dont pâtissent mes collègues – « agents de base », dont la majorité sont des femmes, rappelons-le – au moment de leur départ de la collectivité.

À mes collègues

J’éprouve, bien entendu, une grande émotion à l’idée de quitter l’espace d’Anglemont, ce magnifique navire, dans lequel – animateur multimédia – je me suis senti si souvent le passager clandestin d’une embarcation pulsant tant d’énergies créatrices.

C’est peu dire que j’ai apprécié la présence des personnes qui m’ont offert le témoignage de leur fidélité, en revenant, année après année, participer à mes ateliers.

À tous ces usagers du service public qui m’ont fait l’honneur de leur présence, j’ai eu l’occasion d’adresser, du fond du cœur, mes remerciements. Ces personnes m’ont permis de donner du sens à mon travail. Elles ont contribué à fournir toute la niaque nécessaire à la pratique au long court du métier d’animateur.

Quant à vous, chers collègues, quel que soit votre service, votre niveau hiérarchique (oui, oui, même au plus haut), quelle que soit la nature de la relation que nous avons pu avoir (j’ai conscience d’être parfois très chiant), je tiens à vous exprimer, sincèrement et fraternellement, ma sympathie pour ces longues années partagées au sein du même collectif de travail.

Merci d’avoir permis de vivre tous ces moments de sociabilité avec tout ce que cela peut véhiculer de richesse, de déconvenues, de beauté, de laideur, de force et de fragilité humaine. Soyez certains que vous m’avez enrichi, non pas financièrement, bien sûr, mais humainement et de cela, je vous remercie infiniment.

À mes employeurs

Est-il nécessaire de le rappeler : vous êtes employeurs, je suis salarié et cela suffit à établir entre nous une délimitation qu’il m’est impossible d’évacuer. Nous défendons, par nos positions respectives, des intérêts qui ne sont les mêmes. C’est aussi simple que cela.

Il vous est arrivé d’évoquer votre passé de syndicalistes, permettez-moi de vous répondre, ici, que j’ai occupé, il y a plusieurs années, des fonctions d’employeur dans une SCOP et dans une association. Le problème n’étant pas de savoir qui l’on est mais de reconnaître le rôle que l’on occupe dans une organisation.

Une fois cela établi, je tiens à préciser qu’à aucun moment, mes critiques à votre endroit ne visent qui que ce soit, en tant que personne.

Je m’efforce de toujours bien distinguer d’une part, le rôle des systèmes, des instituions, ou des organisations et, d’autre part, les personnes.

Les critiques les plus radicales, et nous en avons besoin aujourd’hui, me semble-t-il, doivent porter sur les institutions et les systèmes mais jamais sur les personnes.

Je respecte les élus locaux, en tant que personnes, parce que quiconque, en tant que personne, doit être respecté, évidemment.

Ces élus locaux représentent la partie du corps politique la plus exposée aux différentes formes de rejet – parfois violent – de la population. Beaucoup d’entre eux ne bénéficient que d’un salaire modeste. Quant à ce qu’ils en retirent sur le pan des gratifications personnelles, je suis convaincu que pour la plupart, ils doivent se demander ce qui les pousse encore à continuer d’assurer leur mandat. Pour rien au monde je n’accepterais de me plier à tant de pratiques faussement consensuelles, s’obligeant à l’exercice quotidien de formes plus ou moins prononcées de clientélisme et de cynisme. Je suis convaincu que ce qui distingue fondamentalement nombre de ces élus locaux du quidam, catégorie à laquelle j’appartiens, réside dans une forme de bricolage personnel du type de « la fin justifiant les moyens ».

Je n’ai aucune animosité personnelle à l’encontre des élus municipaux de cette mandature ou des mandatures passées. J’ai eu avec eux des relations parfois cordiales, parfois glaciales. Je ne suis pas là pour leur plaire ou leur déplaire. Je suis employé pour servir la population, sans discrimination. Mon rôle de syndicaliste consiste à défendre les intérêts des salariés. Partant de là, tout reste ouvert.

La vie ne résume pas au travail mais une partie importante de nos vies se joue autour du travail. Quitte à y être, autant essayer de faire mieux que d’y passer son temps.

Je devrai désormais trouver à faire mieux que de passer mon temps en retraite.

Quoi qu’il en soit, je garderai un souvenir indélébile des ces années lilasiennes, tout en sortant du village avec beaucoup de satisfaction.

À suivre

François Le Douarin, le 17 juin 2022

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