Pas seulement dans ton jardin

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Voici le troisième texte d’une série de billets consacrés à la maternité des Lilas, après la chronologie et Accouchement physiologique: quel avenir ?
La chronologie m’a permis de me remettre dans le bain pour mieux me positionner vis à vis de la situation actuelle de la maternité des Lilas.
Le deuxième billet (Accouchement physiologique : quel avenir?) avait pour but de contribuer à redéfinir les enjeux stratégiques du moment à partir d’une liste de questions. Cette tâche s’imposait de toute évidence, d’après ce que j’avais pu en voir, en réunion publique.
Ce qui suit revient sur certains aspects caractéristiques de la mobilisation de la maternité des Lilas, afin d’en tirer quelques pistes de réflexion politique.

Important : ce texte n’engage que ma responsabilité personnelle.

La maternité des Lilas : une lutte locale ?

Il y a 11 ans, je suis entré en contact avec la mobilisation pour « défendre la maternité des Lilas », en tant que militant à la CGT des territoriaux, par le biais de mon union locale. C’est au nom de cette appartenance que je me suis exprimé sur le sujet à cette époque1. Je tiens à préciser que ce n’est plus le cas aujourd’hui2, même si mon positionnement actuel me semble cohérent avec celui que j’avais à l’époque.

Pour nous autres, cégétistes, cette mobilisation présentait, a priori, toutes les caractéristiques d’une « lutte locale ».

En guise de préambule à ce billet, j’aimerais justement interroger la pertinence du caractère local de cette mobilisation.

Ceci nous permettra de poser, en quelque sorte, les termes du débat.

En premier lieu, je pense qu’il est important que la mobilisation pour la maternité des Lilas ne soit plus considérée comme étant, d’une certaine façon, strictement locale.

Il est urgent que la mater rompe avec sa forme « localiste », dans ce que ce terme désigne de plus réducteur. La spécificité lilasienne a trop souvent caractérisé la lutte de la maternité des Lilas, jusqu’à la représenter, de la façon la plus caricaturale comme une sorte d’exception, nichée dans son enclave et désireuse d’y rester. Cette vision d’un « village tellement extraordinaire », qui est largement partagée aux Lilas, de façon générale3, me semble préjudiciable pour l’avenir de la maternité.

De toute évidence, ce qui est en jeu en octobre 2022, n’est plus l’attachement de la maternité à la ville des Lilas, tel que nous le revendiquions toutes et tous en 2011.

Plus personne ne défend réellement ce point de vue – en tous cas, plus dans ces termes – mais le fait que ce slogan ait été répété de façon quasi pavlovienne jusqu’au printemps 2022, pourrait laisser entendre que la situation n’avait pas évolué depuis le début de la mobilisation, quand toutes les conditions étaient réunies pour que la maternité s’installe, comme prévu, dans un nouvel hôpital aux Lilas, sur le terrain Güterman et que, contre toute attente, l’obstruction de l’ARS mit brutalement un point d’arrêt à l’exécution d’un projet, qu’elle avait pourtant validée.

Aujourd’hui, au contraire, toutes les conditions sont dictées par l’État, à partir de nouvelles modalités qu’il a imposé. Non seulement, il n’y a plus de financement ni de terrain disponible aux Lilas mais l’hypothèse même du maintien de l’intégralité de la structure dans une autre ville est rejetée par l’ARS. Pour boucler l’affaire, la maternité est en sursis, puisque promise au découpage.

Seule une très forte mobilisation sociale, de celles qui bousculent la loi pour y imposer les droits, comme ce fut le cas, par exemple, avec la contraception et l’avortement4, pourrait permettre d’arracher que la « maternité des Lilas reste aux Lilas ». Le réalisme impose, pour le moins, de s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour obtenir ce résultat.

Une autre raison, pour laquelle il me semble nécessaire de s’interroger sur le contenu local de la mobilisation de la maternité des Lilas, tient au fait, comme déjà évoqué, qu’il s’agissait aussi pour un certain nombre d’entre nous, d’une lutte syndicale.

Syndicale, donc locale mais pas seulement. Voilà qui demande quelques explications.

Le secrétaire de l’UL CGT de l’époque, Jean-Marie Poirier, ainsi qu’au quotidien, Jean-Pierre Blouch, accompagnés des nos adhérentes de la maternité, sont intervenu·es dans un contexte, relativement classique, où des emplois étaient menacés.

À la même période, nous avons connu aux Lilas une autre lutte locale – la blanchisserie RLD – où des emplois étaient aussi en jeu, suite à une restructuration. La lutte de la maternité est effectivement une lutte syndicale locale au même titre que celle de RLD. Il est tout à fait logique que l’UL CGT intervienne dans ces entreprises, pour défendre les intérêts des salarié·es (salaires, emplois, conditions de travail, etc.)

C’était donc une lutte locale, au sens où il s’agissait de défendre les intérêts des salarié·es de cette entreprise précise mais, dès le départ, nous avons immédiatement vu que la problématique autour de la mobilisation de la maternité des Lilas dépasserait ce cadre d’intervention syndicale classique, dans une entreprise locale.

Dans la maternité, hormis les syndicats, faiblement représentés parmi le personnel, nous avons trouvé d’autres entités, telles que le collectif de soutien, la mairie et l’association Naissance qui s’exprimaient « pour la maternité », si ce n’est au nom des salarié·es.

Dès septembre 2011, lors de la première manifestation, le profil national des représentants politiques5 venus soutenir la cause de la maternité des Lilas démontrait que cette dernière représentait beaucoup plus qu’une simple mobilisation locale contre une délocalisation ou une restructuration. Faut-il préciser que nous n’aurions jamais pu espérer obtenir un tel casting pour RLD ?

Cette dimension nationale de la mobilisation autour de la mater s’est à nouveau imposée avec l’épisode grotesque et pitoyable de la visite du candidat du parti socialiste à l’élection présidentielle de 2012, au cours de laquelle ce dernier s’engageait à venir inaugurer la nouvelle maternité, après son élection. On a vu ce qu’il a fait de sa promesse. Certaines interventions qui ont eu lieu dans le cadre parlementaire6, sont autant de preuves supplémentaires que la maternité des Lilas représentait un « sujet politique de dimension nationale ».

Enfin, les événements récents ont confirmé, d’une façon encore plus incontestable, que la menace sur les emplois de la maternité des Lilas relève d’un enjeu qui dépasse le seul cadre local.

En 2022, le nouveau projet de l’ARS, imposant la séparation en deux entités, signifie que l’État a l’intention de faire disparaître la pratique de l’accouchement physiologique et, ce faisant, qu’il remet en cause la continuation d’une pratique professionnelle féministe. En l’empêchant à la maternité des Lilas il entérine, de fait, son interdiction dans toute autre structure.

Telle est, en tout cas l’hypothèse que je propose dans mon billet Accouchement physiologique: quel avenir ?

C’est donc parce qu’elles sont détentrices d’une pratique professionnelle menacée – l’accouchement physiologique – que les salarié·es de la maternité des Lilas, en défendant leurs emplois défendent aussi une conquête sociale dont le champ d’application dépasse le strict cadre local.

Rappelons, au risque de les accabler d’une « responsabilité historique » qu’elles n’ont probablement pas demandée, que je considère7 qu’il revient aux personnes salarié·s de la maternité – à elles-mêmes, et à nul autre – de décider quel doit être l’axe stratégique à mettre en place pour contrer les nouvelles conditions imposées par l’ARS. Bien évidemment, je m’empresse d’ajouter que sans la solidarité active la plus large et la plus énergique des sympathisant·es pour aider les salarié·es de la maternité des Lilas à s’émanciper de ces nouvelles contraintes, aucun espoir de victoire ne peut être envisagé.

C’est justement parce qu’il ne s’agit pas uniquement d’un enjeu local, qu’il est d’autant plus indispensable que les salarié·es ne soient pas laissé·es à leur sort, vis à vis de l’ARS et de leur employeur.

Voilà, en quelque sorte, comment s’articule la fameuse dialectique entre le « local » et le « global », pour ce qui concerne le contexte de la lutte de la maternité des Lilas.

Le préambule étant posé, je vous propose de nous replonger aux origines de tout ceci pour essayer de comprendre ce qui s’est passé et de tâcher d’en tirer quelques enseignements politiques.

On aime la mater et ça fait du bien de l’aimer

Revenons en juin 2011, quand l’ARS refuse de donner son accord au projet de construction d’une nouvelle maternité aux Lilas, sur le terrain Güterman.

L’urgence était à « l’action ». Tout le monde sait que pour agir rapidement, il faut se faire connaître et, pour cela, quoi de mieux que l’action spectaculaire ?

Ça tombe bien : la mater, avec son ambiance bienveillante et ses nourrissons, est plutôt photogénique. Elle attire la lumière. Elle retourne une image rassurante et consensuelle. C’est un bon départ pour se faire connaître, surtout quand on appartient à un secteur d’activité qui renvoie, globalement, une vision de la réalité beaucoup moins glamour.

Tapez dans votre moteur de recherche « maternité des Lilas » et observez les vidéos associées à votre requête.

Vous constaterez alors que les mots clés « maternité des Lilas » correspondent à un objet médiatique et politique qui ne cadre pas vraiment avec la réalité des services de santé en France.

Une réalité qui est accessible à tout à chacun, dès lors qu’on se rend à l’hôpital pour une urgence : des lits installés dans les couloirs, le déficit d’équipements et de moyens médicaux, le manque de personnel, l’exaspération du public, les agressions des agent·es… sans parler de la partie immergée de l’iceberg, qui remonte périodiquement à la surface, par blocs entiers, tels que – tiens, parlons-en justement – les violences obstétricales, la fermeture des maternités et des services de pédiatrie, la pénurie d’infirmières et de médecins de villes, la maltraitance des patient·es souffrant de troubles psychiatriques et des personnes en situation de handicap, les systèmes informatiques des hôpitaux qui sont à l’origine de la diffusion d’informations confidentielles des usagers, après avoir été hackés… soit, autant de situations parmi d’autres, caractérisant l’état des services publics de santé, à laquelle il faudrait, bien entendu, ajouter la gestion de la crise du COVID19 qui représente, à elle seule, un dossier à charge qui vaut largement son pesant de cacahouètes.

Toutes ces images anxiogènes s’évaporent au contact de la maternité des Lilas, y compris quand il est question des péripéties qui l’opposent à l’ARS. Parfois, même, c’est rigolo aux Lilas. On voit des jeunes femmes sympas, plein d’énergie, avec de jolies couleurs, qui chantent et qui dansent. Et puis toutes ces vidéos disponibles sur Youtube, dix après. Vraiment cool.

Quand l’objet politique et médiatique « maternité des lilas » rencontre le sujet de société « service public de santé en France », ce dernier joue presque toujours le rôle de figure repoussoir. Le discours, surtout porté par les usag.ères des Lilas et relayé par les médias, pourrait presque toujours se résumer à ce type de propos : Aux Lilas, ce n’est pas comme les autres maternités. On prend vraiment soin des patientes. Ce n’est pas une usine à bébés et on ne veut pas qu’elle le devienne. C’est pour cela qu’il faut la soutenir.

Pour conclure, sur le registre de l’activisme, rappelons que le simple terme de « La maternité des Lilas » représente, à lui seul, un symbole fort au-delà même de la sphère militante féministe. Il n’est pas nécessaire de déployer tout un argumentaire pour convaincre. Il suffit de lancer le message essentiel « Attention, la maternité des Lilas est en danger ! » pour voir arriver le beau monde et inciter tout à chacun·e ayant une conscience progressiste de lui venir en aide, surtout quand cela ne consiste qu’à signer une pétition en ligne.

Décidément, on aime la mater et ça fait du bien de l’aimer.

La maternité des Lilas a la chance de bénéficier d’un réseau de célébrités qui servent de précieux relais auprès des grands médias, ce qui accentue d’autant l’effet charismatique évoqué ci-dessus.

Contentons-nous, pour l’instant, du constat suivant : la mobilisation de la maternité des Lilas fait l’objet d’un accompagnement médiatique assez exceptionnel et plutôt bienveillant.

Il semble que, dès le départ, la visibilité médiatique, sous sa forme parfois la plus caricaturale, a représenté la stratégie prioritaire adoptée par le collectif de soutien. La maternité des Lilas s’est souvent mise en scène à l’écran, voire dans la rue.

La stratégie de communication s’est emballée et, bingo, le truc a fonctionné.

Tant que la mayonnaise prenait il n’y avait aucune nécessité de savoir et de faire savoir que l’objet « la maternité des Lilas » ne se limitait pas aux images d’Épinal retournées par les écrans. Il n’était nullement nécessaire de préciser que cet objet embarquait un représentant légal, totalement invisible, qui allait s’avérer plutôt encombrant. Hors de question, aussi, d’étaler au grand jour le fait que les principales porte-paroles, sous couvert d’un discours unitaire, étaient en réalité porteuses de tensions internes, représentant, des intérêts spécifiques, voire divergeant.

La priorité, au début, était d’obtenir le maintien de « la maternité des Lilas aux Lilas ». Incontestablement, cette stratégie pouvait s’avérer gagnante.

Après le succès de la manif de septembre 2011, l’ARS a été contrainte de faire marche arrière, moyennant quelques concessions, à première vue, mineures. Personne n’avait vu que l’État menait tout son petit monde en bateau, mais là n’est pas la question. La stratégie de com avait été vraiment super canon successful, tu vois, et ça faisait du bien d’y croire. Tout semblait réglé. Nous y avons presque cru.

Et alors, où est le problème ? Me direz-vous.

Le problème ne porte pas sur la médiatisation elle-même. On sait qu’il faut faire avec, même si le sujet mériterait d’être approfondi.

Par contre, le soucis vient quand on en reste à l’image laissée par les médias et, d’autant plus, quand cette image plaisante et simplificatrice, qui s’avère totalement erronée, est intégrée par les protagonistes de la lutte elles-mêmes et eux-mêmes : salarié·es, collectif de soutien et sympathisant·es.

Il m’est impossible, à ce propos, de passer sous silence le rôle du collectif de soutien dans la mise en œuvre de cette politique de communication mais aussi, plus largement, sur la place qu’il a occupé dans la mobilisation pour la maternité des Lilas.

À propos du collectif de soutien

J’ai bien conscience que je touche un sujet délicat qui m’expose à une multitudes de retours de bâtons. Voilà pourquoi il me semble important d’apporter quelques préalables avant d’aborder ce sujet.

Comme j’ai coutume de l’indiquer, je suis homme de base, très loin des secrets des dieux. Je ne connais des choses que ce que j’en vois, à ma place et, concernant la maternité des Lilas, je suis vraiment resté à un niveau très basique, loin des sphères de pouvoir, pour lesquelles, de façon générale, je ressens de l’indifférence8. Je n’ai aucun compte personnel à régler avec qui que ce soit.

Précisons enfin que, pour ce qui nous concerne ici, la démarche politique ne m’intéresse qu’à partir du moment où l’observation de faits ouvre à des perspectives plus générales. Je vais donc tâcher de ne m’en tenir, qu’à quelques faits significatifs :

En premier lieu, puisqu’il était question de la communication, force est de reconnaître que le collectif de soutien a toujours joué un rôle central en tant que porte-parole de « la maternité des Lilas » ; que ce soit pour certains contenus auto-produits (vidéos) ou lors d’interviews auprès des titres de presse.

J’ai signalé dans la chronologie que les élus municipaux de la ville des Lilas, le maire en première ligne, ainsi que des salarié·es de la maternité, notamment des cadres, ont été à l’origine de la création du collectif de soutien. D’autres composantes, dont la CGT (qui a ensuite pris des distances9) ont intégré ce collectif.

Les principales personnes qui feront office de porte-paroles de la maternité des Lilas seront, à tord ou à raison, identifiées en tant que représentantes du collectif de soutien de la maternité des Lilas. Il s’agira d’une forme de représentation toujours très personnalisée : soit tel·le ou tel·le cadre de la maternité, soit une militante féministe locale qui prendra ensuite place dans l’équipe municipale, en tant qu’élue.

La place de l’association Naissance (le représentant légal de la maternité des Lilas, dont il sera question plus loin dans ce texte) n’est pas clairement définie : est-elle, en tant que telle, membre du collectif ? Il semble que ce ne soit pas le cas mais l’ambiguïté est manifeste. J’avoue ne pas avoir creusé la question, laquelle me semble, de toute façon, assez anecdotique.

Je constate qu’au sein de cette « maternité des Lilas » médiatique de la période 2011 – 2015, les instances de pouvoir reposent sur un maillage d’influences qu’il n’est pas toujours facile d’identifier de l’extérieur mais qui sont néanmoins très clairement réparties entre l’association Naissance et le collectif de soutien.

Sans rentrer dans les détails, nous savons qu’au moment du projet d’adossement à la clinique Floréal de Bagnolet, en 2015, un différent a opposé la mairie et l’association Naissance. La mairie a été visiblement chassée du conseil d’administration de l’association Naissance. Cet événement a entraîné, de fait, une prise de distance de la mairie dans la mobilisation pour la maternité des Lilas et la fin de l’existence du collectif de soutien, sous la forme qu’il avait eu jusque-là.

Quelques années plus tard, au moment de la mobilisation sociale contre la réforme des retraites de l’hiver 2019-202010, alors que je distribuais des tracts syndicaux sur le marché appelant à amplifier la grève, j’ai eu la surprise de découvrir que l’une des principales portes-parole de la maternité – qui y travaillait, en tant que cadre, lors de la séquence 2011-2015 mais qui n’y était plus en 2020 – s’affichait sur une liste concurrente du maire, pour les élections municipales.

Il n’est pas anodin de savoir que cette liste – macroniste – s’est constituée à partir d’un réseau dont le centre de gravité est une entreprise locale, très connue au Lilas. Les chefs de cette entreprise avaient joué, en 2001, un rôle important dans l’élection du maire mais ils ont ensuite pris leurs distances avec ce dernier en 2018, parce qu’ils estimaient que la municipalité ne soutenait pas suffisamment leur activité commerciale.

Il est difficile de passer outre ce type de péripéties car elles ont, de fait, influencé le déroulement de la mobilisation pour la maternité des Lilas, alors qu’elles ne représentent strictement rien par rapport aux enjeux politiques concernant la maternité elle-même.

Le collectif de soutien avait comme principal objectif de mettre en place une « direction politique » pour organiser la mobilisation. Cette direction était constituée de représentant·es auto-proclamé·es, provenant tantôt de l’intérieur (cadres), tantôt de l’extérieur de la maternité (élu.es). Le collectif de soutien s’est greffé par-dessus la maternité proprement dite, à partir de 2011. Il n’était, de mon point de vue, que de façon superficielle l’émanation directe des salarié·es.

Depuis la disparition de ce collectif de soutien, tout du moins sous la forme qu‘il avait au début, il semble que les syndicats s’imposent davantage en tant que portes-parole. Voilà qui pourrait représenter, a priori, plutôt une avancée.

Force est de constater, malheureusement, que les représentantes syndicales se montrent très divisées sur les orientations stratégiques et que le personnel, de façon générale, semble avoir « lâché le morceau ». Cette inertie des « forces vives de la maternité » représente, de mon point de vue, le principal obstacle immédiat à surmonter, si ce n’est, le préalable, pour envisager toute hypothèse d’évolution positive de la maternité.

Cet aparté, du côté des coulisses, étant terminé, il est temps de reprendre le fil de notre historique sur la scène de notre histoire, pour observer comment l’ARS s’y est prise pour énerver le monde avec ses pirouettes.

Les limites de la stratégie communicationnelle

On a cru, en 2011, que la médiatisation pourrait conduire au happy end. Tout le laissait supposer. Mais, rétrospectivement, il faut se rendre à l’évidence que l’État, lui, a bien vu dès le départ que cette histoire de maternité aux Lilas, correspondait à un enjeu qui n’était pas strictement cantonné au cadre local de cette petite ville de la proche banlieue parisienne.

Deux ans plus tard, donc, en dépit de tous les signaux, l’ARS s’assoit à nouveau sur ses promesses.

Dès lors, la machine infernale de l’État embarque l’objet « maternité des Lilas » dans une sorte un bug, où la moindre avancée conduit fatalement à un retour au point de départ.

Le bug, programmé par l’État de façon tout à fait méthodique et rationnelle, impose alors à la maternité des Lilas un « pourrissement de la situation », tel que l’a très justement évoqué, Daniel Guiraud, alors, maire des Lilas11.

Dans la lutte inégale, entre le rouleau compresseur de l’État et la petite structure sympathique, un peu marginale mais que tout le monde aime12, il s’est avéré que l’usage du temps, a été instrumentalisé de la façon la plus cynique par le premier, pour désamorcer l’aura médiatique dont pouvait bénéficier la seconde, afin de la réduire progressivement à l’asphyxie.

Aujourd’hui, avec le projet de séparation en deux entités, on ne peut s’empêcher de penser qu’il y avait, dès le départ, cet objectif délibéré d’arrêter, par tous les moyens, la pratique de l’accouchement physiologique.

L’accouchement physiologique existant aux Lilas, cela signifiait qu’il puisse exister ailleurs. Cette hypothèse était probablement insupportable pour l’État.

Face à l’adversité, la maternité s’est rabougrie dans la répétition d’une forme de mise en scène médiatique dont le message essentiel se résumait, à peu de chose près, à « la lutte héroïque de la petite-maternité-qui-n’est-pas-comme-les-autres contre l’obstination d’une méchante administration qui veut l’empêcher de continuer d’exercer aux Lilas ».

Plus que la défense de la maternité des Lilas, elle-même – qui n’a, de mon point de vue, aucun intérêt – je pense que la réponse politique, à la hauteur de la remise en cause de L’État, aurait plutôt consisté à revendiquer clairement que les pratiques professionnelles ayant cours à la maternité des Lilas soient intégrées de plein droit dans la politique de la santé publique. Ce qui aurait permis d’argumenter politiquement sur le fond et de sortir de l’isolement.

Nous verrons plus loin pourquoi l’objet « maternité des Lilas » n’a pas été en mesure de poser en ces termes, une stratégie de riposte contre l’État.

Pour l’instant, je propose juste de nous livrer à un exercice tout simple qui n’a pas été fait en 2011 : essayons d’identifier ce que représente la maternité des Lilas, d’un point de vue social et économique, au-delà de l’objet médiatique qui portait le même nom pendant cette période.

L’objectif étant d’avoir une meilleure visibilité sur ce que représente cette « maternité des Lilas » en la délivrant de son enveloppe médiatique. Ainsi, il sera plus facile de faire le tri entre ce qui doit être défendu, pour l’intégrer dans une stratégie de lutte, et ce qui ne doit pas l’être forcément.

La maternité des Lilas, c’est quoi, en fait ?

Selon moi, la maternité des Lilas en tant qu’agent social et économique représente essentiellement quatre caractéristiques distinctes  :

  1. Un service d’orthogénie et d’accouchement physiologique,
  2. Les modalités financières et les objectifs sociaux du service,
  3. Les salarié·es,
  4. L’association Naissance.

Pour quiconque ayant suivi ou participé, un tant soit peu, à la mobilisation de la maternité, le réflexe immédiat serait probablement d’ajouter à cette liste le fameux « collectif de soutien », eu égard au poids qu’il a eu dès 2011.

Ce n’est pas mon point de vue. Nous avons indiqué que le collectif de soutien est venu se greffer sur la maternité pour assurer un rôle de direction dans la mobilisation. Il ne représente rien pour ce qui nous intéresse ici.

Restons-en donc à ces quatre caractéristiques et passons-les en revue, afin, comme je l’ai proposé plus haut, de voir comment chacune doit être considérée par rapport à la mobilisation pour la défense de la mater.

Service d’orthogénie et d’accouchement physiologique

À plusieurs reprises, dans les textes publiés sur ce blog, j’ai eu l’occasion d’évoquer ce que représentait, d’un point de vue politique, le service rendu par la maternité des Lilas. Proposons un bref rappel des pratiques professionnelles constituant ce service :

  • L’accouchement physiologique met en œuvre des méthodes spécifiques, respectant jusqu’à leur dernières conséquences le choix des personnes13 à ne pas être dépossédées de leurs corps au moment de l’accouchement.
  • L’orthogénie, c’est à dire le planning familial et l’IVG.

Le fait que, dans le même hôpital, coexistent le planning familial, l’IVG (orthogénie) et ces méthodes particulières d’accouchement, dit physiologique, constitue l’identité féministe qui est implicitement associée à la maternité des Lilas. Nous retrouvons ici le caractère global qui dépasse le strict cadre local.

Précisons une bonne fois pour toutes que lorsque j’évoque « le service proposé par la maternité des Lilas », il s’agit de sa version originale, non tronquée, c’est à dire l’orthogénie et l’accouchement physiologique, constituant un ensemble de pratiques professionnelles réunies sur le même site. Cette précision est d’autant plus importante, dans le contexte de la mise en place du projet de l’ARS, prévoyant une dissociation de ces pratiques sur deux sites distincts.

Le service proposé à la maternité des Lilas constitue « l’essence même » de cet hôpital. Ce même service, pour ce qu’il implique dans les faits en termes de ressources, est la raison principale du blocage de l’ARS, même si cela n’est jamais indiqué en ces termes.

Le service proposé par la maternité des Lilas détermine donc l’axe central, incontournable, sur lequel doit se construire la mobilisation sociale pour « la défense de la maternité ».

Les modalités financières et les objectifs sociaux du service

Un autre ensemble de caractéristiques doit être, de mon point de vue, immédiatement associé à ce qui vient d’être indiqué.

J’ai regroupé sous l’appellation « modalités financières et objectifs sociaux» trois critères qui permettent de caractériser le service rendu par la maternité en tant qu’activité à but non-lucratif, faisant l’objet d’un financement public et proposant une tarification socialement accessible.

De mon point de vue, ces caractéristiques doivent impérativement être maintenues dans ce qui constitue l’identité de la maternité des Lilas, au risque de dénaturer le sens de notre propos.

Nous sommes bien d’accord que le but du jeu n’est pas de créer un service innovant en matière d’accouchement, financé par un milliardaire, pour une clientèle huppée dans une clinique privée de Neuilly-sur-Seine.

Au-delà de cet aspect social, le financement public ne se limite pas seulement à une procédure technique de versement de fonds, comme s’il s’agissait d’une opération neutre, totalement déconnectée de toutes considérations politiques.

Disons-le clairement : le financement vaut pour validation du projet par l’État.

Il est important de rappeler que les pratiques professionnelles se déroulent à la maternité des Lilas, depuis 1964, dans le circuit institutionnel et économique classique.

Cela veut donc dire que, loin d’être une fantaisie un peu marginale, ces méthodes d’accouchement sont totalement viables dans le monde d’aujourd’hui et qu’elles peuvent donc être déployées dans d’autres contextes.

À aucun moment l’ARS n’a opposé de contre-argumentaire quant au fond, par exemple en invoquant des raisons médicales ou sanitaires qui justifieraient l’interdiction de l’accouchement physiologique. Le seul argumentaire avancé était et demeure d’ordre financier.

Il me semble indispensable de garder à l’esprit cette caractéristique qui, de mon point de vue, n’est pas assez mise en avant dans l’argumentaire traditionnel de la maternité.

L’importance du financement public joue donc, à plus d’un titre, un rôle considérable dans l’identité de la maternité. Il devrait en être de même dans la stratégie de lutte. Qu’en est-il de la finalité non-lucrative et de la tarification ?

Nous avons vu qu’avec le financement public, ces deux critères représentent un tout cohérent qui constitue le caractère social de la maternité. Il ne faut surtout pas les dissocier. Concernant les modalités, pour l’heure, on sait que la maternité des Lilas est une activité à but non-lucratif, gérée par l’association Naissance (dont il sera question plus loin). La tarification, quand à elle, est évidement largement tributaire du financement public.

En résumé, il faudrait donc intégrer toutes ces caractéristiques – modalités financières, objectifs sociaux – dans les axes stratégique de la mobilisation.

Ceci étant posé, essayons de changer nos habitudes de raisonnement.

Je considère que les principes de l’activité non-lucrative, du financement et de la tarification ne sont pas strictement dépendants de l’association Naissance. C’est bien cette association qui représente et qui gère la maternité aujourd’hui mais elle n’est pas, en tant que telle, indispensable pour continuer d’assurer ces fonctions. Une autre entité pourrait tout aussi bien adopter exactement la même politique d’activité non-lucrative, de financement public et de tarification sociale. Nous reviendrons sur ce point quand nous aborderons l’association Naissance.

Donc si l’on devait faire un premier niveau de clarification, nous savons que ce qu’il faut défendre au travers de l’objet « maternité des Lilas » se compose au moins des caractéristiques suivantes : un service d’orthogénie et d’accouchement physiologique, à but non-lucratif, financé par l’État et proposant une tarification socialement accessible.

Continuons notre passage en revue.

Les salarié·es

Le féminisme qui est en œuvre à la maternité des Lilas n’est pas uniquement théorique. C’est une réalité sociale, s’inscrivant dans un service local rendu à la population, faisant intervenir des salarié·es14, auprès d’usage·ères (femmes, hommes, enfants, couples, etc.).

Concernant l’accouchement physiologique, les salarié·es mettent en application des principes féministes au travers d’un savoir-faire spécifique, reposant sur des méthodes éprouvées par plusieurs générations de professionnel·les.

C’est la raison pour laquelle je considère qu’accouchements physiologiques et emplois des salarié·es constituent un ensemble, là encore, indissociable, lorsqu’il s’agit de les considérer dans le contexte de la lutte de la maternité des Lilas contre l’État.

Non seulement les pratiques féministes sont viables aux Lilas mais elles pourraient être pratiquées ailleurs et c’est essentiellement sur les salarié·es que repose la transmission de ce savoir-faire.

L’enjeu politique à long terme de la maternité des Lilas réside dans la capacité des professionnel·les de santé à continuer de pratiquer l’ensemble des services qui y sont proposés ; que ce soit ici ou ailleurs.

Récapitulons.

L’objet « maternité des Lilas » commence à prendre nettement plus de précision et de relief.

Il pourrait s’agir d’un service d’orthogénie et d’accouchement physiologique, mis en œuvre par des personnes salariées, détentrices d’un savoir-faire spécifique, permettant de perpétuer ces pratiques mais aussi de les transmettre. Ce service, reposant sur une activité à but non-lucratif, fait l’objet d’un financement public ; ce qui signifie que l’État reconnaît la validité de ces pratiques professionnelles et que les tarifs sont socialement accessibles.

Continuons l’observation de nos quatre caractéristiques. Que reste-t-il dans notre objet « la maternité des Lilas » que nous n’ayons encore abordé ?

Il ne reste que le « représentant légal » ; l’association Naissance.

Le représentant légal, angle mort et boulet

D’un point de vue officiel et juridique, la maternité des Lilas est représentée par l’association Naissance. C’est le gestionnaire et le « propriétaire » de la structure (même s’il ne possède plus le bâtiment) et, évidemment, il s’agit de l’employeur.

D’un certain point de vue, cette entité est indissociable des trois autres (services, personnel et financement) puisque l’association Naissance est l’interlocuteur officiel.

C’est à l’association Naissance que s’adressent L’ARS, la mairie ou tout candidat à l’adossement pour négocier l’avenir de la maternité des Lilas. Ce rôle dans les affaires « administratives » n’est absolument pas anodin. Le sort des salarié·es et le devenir des pratiques professionnelles féministes de cette maternité sont largement tributaires des décisions prises par l’association Naissance.

Mais justement, pour ce qui nous intéresse, c’est là où se niche une partie du problème : est-ce que la défense politique de la maternité des Lilas implique obligatoirement celle de l’association Naissance ?

La question n’a visiblement pas été posée.

Essayons de voir si l’association Naissance est réellement nécessaire à la mobilisation, partant des quatre critères que nous avons repérés.

Commençons par évaluer ce qu’il en est du rôle, lui-même, de représentant légal et gestionnaire de la maternité.

En tant que gestionnaire, l’association Naissance est associée au maintien de l’activité non-lucrative, du financement public et de la tarification sociale ; soit autant de principes sociaux essentiels qu’il faut défendre. C’est tout à son honneur mais nous avons souligné qu’une autre entité pourrait tout aussi bien continuer d’assurer ces missions.

L’association Naissance, en tant que telle, n’est donc pas strictement indispensable aux fonctions de gestion de la maternité. Rien n’empêcherait que d’autres personnes, en intégrant le conseil d’administration de l’association, gèrent la maternité. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit, si l’on s’en tient à l’observation des faits. Rien n’empêcherait, non plus, que ces mêmes missions soient assurées par une autre association, voire une autre forme juridique de structure que l’association Naissance.

Donc l’association Naissance, en tant que gestionnaire, n’est nullement indispensable à la mobilisation pour la maternité des Lilas.

Voyons pour ce qu’il en est du rôle de l’association Naissance quant aux salarié·es.

Opacité, pratiques douteuses… sont des qualificatifs (pour ne reprendre que les moins chargés) évoqués lors de la réunion publique d’octobre 2022, pour décrire l’association Naissance. La gestion financière défectueuse du représentant légal pèse de tout son poids dans la situation qui accable la maternité des Lilas aujourd’hui.

Un vrai boulet.

Le bilan est lourd mais pourtant, qui connaît l’association Naissance ?

Jusqu’en 2022, il était rarement question de cette association, notamment dans les médias15. Le poids réel de l’association Naissance sur le cours des événements était alors inversement proportionnel à sa visibilité médiatique.

Jusqu’à ces révélations, l’association Naissance représentait l’angle mort de la Maternité des Lilas, y compris parmi les sympathisants.

À la CGT, nous avions, pourtant, souligné le rôle de l’employeur dans le pourrissement de la situation. Est-il encore possible d’ignorer plus longtemps ce que l’association Naissance représente essentiellement, en tant qu’employeur ?

Le fait qu’il s’agisse d’une association n’a strictement aucune importance, quant au rôle social occupé, en tant qu’employeur. Le statut associatif, mutualiste ou coopératif n’entraîne, en soi, aucune forme particulière de défense des intérêts des salarié·es travaillant pour la structure. Ces formes juridiques d’organisations sociales ne permettent pas d’échapper aux contingences générales de l’économie capitaliste ainsi qu’aux rôles sociaux auxquels cette dernière nous assujettit, toutes et tous, au travers du travail (et au-delà), quel que soit le côté de la barrière de classe dans lequel nous sommes placé·es. En dépit des meilleures intentions du monde, un employeur reste un employeur et il en est de même des salarié·es, même (et surtout) si ces derni·ères affirment être « leurs propres employeurs » (ce qui ne semble pas être le cas à la maternité des Lilas, de toute façon).

Comme partout dans le monde du travail, les intérêts des salarié·es employé·es par une association ne recoupent pas les intérêts de l‘employeur. Comme dans toute structure organisant le travail, il existe des tensions sociales à la maternité des Lilas. L’article du Monde révèle, justement, que la gestion financière problématique de l’association Naissance (même s’il s’agit, soit-disant, de négligence) fragilise et menace directement l’activité de la maternité ainsi que les emplois y afférent.

Au-delà de cette affaire récente, l’observation des faits qui ont marqué la mobilisation autour de la maternité des Lilas permet déjà de savoir que, sous la pression de l’ARS, le conseil d’administration de l’association Naissance a été le théâtre d’un défilé de gestionnaires, du privé ou du public, s’installant aux commandes, et décidant, comme dans n’importe quelle entreprise, des affaires courantes et des orientations stratégiques (notamment dans le choix de l’adossement).

Tout cela s’effectuant, comme dans la plupart des entreprises, sans le moindre contrôle des salarié·es16 et aboutissant aux déficiences de gestion, révélées récemment par un organisme indépendant17.

Pour ce qui concerne la défense des salarié·es, le verdit est donc sans appel : l’association Naissance est un employeur tout aussi calamiteux que n’importe quel patron, n’hésitant pas à sacrifier la main d’œuvre qui le fait vivre si telle est la solution qui lui permettra de satisfaire ses intérêts immédiats.

L’employeur, ici comme ailleurs, n’est donc d’aucune utilité pour défendre les intérêts des salarié·es. Avouons qu’il ne s’agit pas vraiment d’une révélation mais cela valait le coup de le rappeler, pour ce qui concerne le contexte de la maternité des Lilas, puisque cette évidence avait été jusqu’à cet été 2022, en grand partie évacuée par la plupart des protagonistes.

Voyons, enfin, si l’association Naissance joue un rôle dans la transmission du savoir-faire professionnel et des pratiques féministe de la maternité des Lilas.

On doit incontestablement aux créateurs de la Maternité des Lilas d’avoir conçu et mis en place, en 1964, une certaine forme de service qui est à l’origine du patrimoine féministe de cet établissement. Soit, mais les créateurs n’y sont plus depuis longtemps. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Vu le pedigree des personnes, qui se sont succédé dans le conseil d’administration de l’association Naissance pour gérer la maternité et considérant les pratiques douteuses qui sont actuellement en cause, tout porte à croire que la transmission du patrimoine féministe ne semble pas vraiment être la motivation principale des dirigeants de cette association.

Quand bien même, il y aurait, dans cette direction, un savoir-faire technique en matière d’accouchement physiologique et d’orthogénie, on peut légitimement penser que l’association, en tant que telle, n’est absolument pas indispensable à la continuité de ce service ou à sa transmission.

Les salarié·es, par contre, de bas en haut de l’organisation hiérarchique, exercent ces pratiques au jour le jour. Ce sont sur ces personnes que repose, notamment, la pérennité de l’accouchement physiologique.

Pour résumer : l’association Naissance n’est donc pas indispensable à l’exercice du service rendu à la maternité des Lilas. Le savoir-faire des accouchements physiologiques ayant cours à la maternité des Lilas, pourrait donc très bien s’exercer dans une autre structure, avec un autre employeur, et même, pourquoi pas, sans employeur !

Si l’association Naissance, en tant que telle, n’est pas indispensable aux tâches de gestions pas plus qu’à celles de l’administration du service et qu’elle n’est d’aucune utilité à la défense des intérêts du personnel, on peut légitimement s’interroger sur son rôle réel pour servir la cause politique de la défense de la maternité des Lilas.

Autrement dit, la priorité ne serait-elle pas de se débarrasser de cet employeur, qui, non seulement, ne sert à rien à la transmission du patrimoine féministe de la maternité des Lilas mais contribue largement à la plomber, en tant que gestionnaire, dans les démêlés avec l’ARS ?

Quand l’État a commencé à mettre son nez dans cette affaire pour empêcher le déménagement en 2011, le réflexe du mouvement de soutien (au-delà même du collectif) a été de prendre pour argent comptant cet objet indéfini appelé « la maternité des Lilas », englobant, dans un même amalgame, l’association Naissance, le financement, le type d’activité, le type de tarifs, les salarié·es et les pratiques professionnelles féministes.

Je pense, au contraire, qu’il aurait fallu s’en tenir à l’essentiel : défendre d’abord les pratiques professionnelles féministes, les salarié·es, l’activité non-lucrative et le financement public. Ces caractéristiques constituent,tel un bloc indissociable, l’objectif stratégique de la mobilisation .

Ce n’est qu’après avoir procédé à cette clarification qu’aurait dû être définie, dans un second temps, la forme juridique de gestion la plus à même de servir cet objectif stratégique.

A minima, la question de la survie de l’association Naissance ne devait pas être nécessairement associée à celle de la survie de la maternité des Lilas.

On pourrait m’objecter que cette hypothèse était et semble encore « complètement irréaliste ! » car l’association Naissance est l’interlocuteur officiel, le représentant légal de la maternité et qu’il est difficile de passer outre une telle contrainte.

Ce à quoi je serais tenté de répondre qu’en dissociant, dès 2011, le sort de la maternité de celle de son gestionnaire, on aurait gagné du temps car, 11 ans après, nous en sommes là.

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce soit-disant représentant ne s’est pas révélé être des plus convaincants pour représenter les intérêts de la maternité des Lilas, telle que nous l’avons définie. Il n’y a plus grand-monde aujourd’hui, visiblement, pour attendre que ce « représentant » joue le moindre rôle dans cette mission.

L’association Naissance est aujourd’hui totalement discréditée, y compris par l’ARS. Qu’on le veuille ou non, il faudra trouver, d’une façon ou d’une autre, le moyen de s’en débarrasser.

Il est même probable, selon le schéma prévu, que l’État se charge lui-même de cette tâche, au prix d’un transfert contraint et bâclé de la pratique de l’accouchement physiologique dans un hôpital public. Vu les conditions imposées à cet « adossement », cela risque de se solder par la disparition pure et simple de la spécificité de cette pratique (je développerai ce point à la fin de ce texte). L’orthogénie resterait alors aux lilas et, dans ces conditions, n’importe quel gestionnaire pourrait faire l’affaire, y compris Naissance, moyennant quelque purge imposée dans sa « gouvernance ». Quant à la maternité, telle que nous l’entendons, il n’en resterait plus grand-chose car elle aurait disparu avec son gestionnaire.

Plutôt que de continuer à subir les situations imposées par l’État et l’employeur, les personnes salariées auraient tout intérêt à prendre leur sort en main, non seulement pour évincer leur employeur, mais aussi pour définir par elles-mêmes une stratégie leur permettant de poursuivre l’activité de la maternité, dans les meilleurs conditions. C’est le sens de la position que je continue de défendre, en proposant d’abord de répondre à un ensemble de question préalables en guise d’éclaircissement stratégique.

Il ne m’appartient pas de me prononcer sur les conditions exactes par lesquelles les salarié·es pourraient se débarrasser de leur employeur mais je suis loin d’être convaincu qu’il suffirait, tel que cela a été évoqué en réunion, d’appeler à une adhésion massive et impersonnelle afin de gonfler les effectifs de l’association Naissance, ce qui permettrait ensuite de modifier la composition du conseil d’administration. On ne s’y prendrait pas mieux pour évincer définitivement les salarié·es du contrôle de la situation.

J’aimerais, par contre, revenir sur une proposition concrète que la CGT avait faite parce que je pense qu’il serait encore possible de la raccorder aux objectifs stratégiques identifiés, ci-dessus.

La proposition d’une maternité des Lilas de service public

La CGT avait proposé que la construction de la nouvelle maternité fasse l’objet d’un financement public18. En toute logique, qui dit investissement public, dit gestion publique (même si d’autres formes de montage peuvent probablement être imaginées).

Cette proposition représentait implicitement une remise en cause du rôle de l’association Naissance. De plus, cela aurait permis de garantir, dans le cadre du service public, le maintien de l’activité non-lucrative, le financement et les tarifs.

Devant l’argument financier avancé par l’ARS, l’intégration dans le service public semblait la plus adaptée pour déboucher rapidement vers une sortie de crise. Pour quelle raison l’État s’opposerait à cette éventualité, sachant qu’il finance déjà à 100 % la maternité ?

L’objectif était bien de rester sur le schéma d’une petite structure de proximité, proposant un service d’accouchement physiologique de niveau 1, ainsi qu’un service d’orthogénie, sur le site Güterman, qui était encore disponible. Il n’était pas question de rejoindre un hôpital existant mais d’en construire un nouveau, entièrement dédié, avec un financement public.

Bref, il s’agissait d’atteindre l’essentiel de l’objectif « d’une maternité des Lilas aux lilas », mais sans l’association Naissance. Enfin, la proposition, dans toute sa simplicité, permettait de sortir de la posture défensive, dans laquelle était cantonnée la maternité.

On me dira peut-être que l’hypothèse d’une maternité des Lilas à 100 % en service public, tout en conservant l’intégralité des ses pratiques, se heurte à toute une série de problèmes réglementaires immédiats.

Nous savons que la réglementation, comme la loi, n’est pas figée ad vitam æternam. La mobilisation sociale peut imposer ses droits. De plus, n’a-t-il pas été évoqué en réunion que l’existence de formes différentes d’accouchements dans l’institution médicale est déjà effective en Grande-Bretagne ?

Nous n’avons pas eu de démenti sur la faisabilité de notre proposition de financement public. Il est vrai que la question n’a jamais été posée et l’on sait pourquoi, puisque l’association Naissance, responsable officiel de l’objet « maternité des Lilas », pesait de tout son poids dans la direction même du collectif de soutien.

La proposition d’une maternité des Lilas de service public était peut-être une piste possible, parmi d’autres. En tous cas, nous n’avons pas vu beaucoup d’autres alternatives, à part des projets d’adossements à des hôpitaux privés qui ont tous capoté les uns après les autres.

La démarche d’une intégration dans le service public de la maternité des Lilas, telle que nous l’entendions, ne pouvait être menée que par les personnes salariées elles-mêmes, avec le soutien de la population (usagers, sympathisant·es). Ce point de vue n’a pas été entendu par la majorité des salarié·es. On pourrait estimer que c’est dommage mais ce n’est mon propos. On ne refait pas l’histoire. Il ne sert à rien d’évoquer le passé si cela ne permet pas de mieux comprendre le présent et d’agir en conséquence.

Si j’évoque l’intégration de la maternité des Lilas dans le service public, c’est parce que 11 ans après, la réflexion autour de cette hypothèse pourrait s’avérer à nouveau nécessaire.

En effet, dans le schéma actuel de l’ARS, l’orthogénie resterait aux Lilas et l’accouchement serait adossé à un établissement public, ce qui signifie que la transformation de la maternité des Lilas en établissement de service public – en partie ou en totalité – semble, non seulement, plausible mais s’impose dans les faits. Néanmoins, il est très important de rappeler que les conditions de 2022 ne sont plus du tout les mêmes qu’à l’époque où nous faisions notre proposition.

Dans ce qui suit, nous verrons que l’intégration de la maternité dans le service public, y compris dans les conditions que nous proposions en 2013, ne constituait pas, en soi, la solution permettant de mettre définitivement la maternité des Lilas à l’abri de nouvelles menaces de la part de l’État. De surcroît, les conditions imposées depuis cet été par l’ARS pour adosser l’accouchement physiologique à un hôpital public représentent d’incontestables risques.

Pour finir, j’exposerai des propositions afin de compléter les orientations stratégiques définies précédemment, pour dégager des axes revendicatifs de lutte visant, justement, à éviter ces risques.

Les conséquences d’une intégration en service public

Disons-le clairement : la bascule dans le public, telle que nous le proposions, permettrait de changer d’employeur, tout en restant avec un financement public mais ne signifiait pas pour autant la fin des problèmes. Pour expliquer ceci, je propose de nous pencher quelques instants sur ce que signifie le service public, de mon point de vue.

J’ai eu souvent l’occasion, en tant qu’agent de la fonction publique territoriale, de me mettre en grève, de défiler et de m’exprimer au nom de la « défense du service public ». Au-delà de l’expression toute faite, qu’entendons-nous par « service public » ?

Le service public pour lequel je lutte est synonyme de services rendus à la population de façon égalitaire et non discriminante, pour satisfaire l’accès aux « biens communs » à tous les membres de la société sans exclusive (condition sociale, âge, sexe, genre, tenue vestimentaire, origine, nationalité, croyances ou non croyances, handicap, validité, état de santé, apparence physique, etc.). La finalité de l’activité de service public, tel que je l’entends, n’est ni lucrative ni commerciale et s’exerce sans discontinuité de temps et d’espace, à l’échelle du territoire national. Enfin, le principe de neutralité, qui est si souvent trituré dans tous les sens, signifie pour moi que, pour répondre dans les meilleures conditions à ces « missions », les agent·es de service public doivent être détaché·es de toute relation entraînant la contrainte, la coercition ou l’influence vis à vis des pouvoirs, quels qu’ils soient (politique, économique, religieux, médiatique, technologique, clanique, familial etc.).

Voilà qui mérite, sans aucune ambiguïté, de s’engager, non seulement, pour « défendre » le service public mais, surtout, pour en étendre le champ d’application !

Pour autant, je n’ai jamais eu la moindre illusion sur la portée réelle du service public. Je n’y mets nullement, tel qu’il me semble parfois le voir se dessiner au travers du discours de certains camarades, cette représentation d’une sorte de Saint Graal social qui serait, à la fois, préfiguration au présent et marche-pied d’un avenir inéluctablement meilleur.

Le service public n’est pas la panacée, ni pour aujourd’hui ni pour demain.

Je me garderai bien d’essayer de décrire de quoi sera fait l’avenir. Tâchons de nous en tenir à ce qu’il en est du temps présent afin de prévoir quelles seraient les conséquences immédiates d’une maternité des Lilas de service public.

Le service public n’échappe en rien aux méthodes managériales du privé, je suis bien placé pour le savoir, après 23 ans dans la fonction publique territoriale, dont 13 en tant que contractuel et 10 sous le statut de fonctionnaire.

La question ayant été évoquée précédemment au sujet du statut associatif, est-il besoin d’ajouter, que les services publics, pas plus que les entreprises privées ou tout autre forme sociale organisant le travail, n’échappent en rien au cadre général de l’économie capitaliste ?

Certes, le service public, permet de démontrer, de façon assez schématique et très relative, que toute activité humaine, y compris en régime capitaliste, ne consiste pas invariablement à traiter des marchandises. C’est la raison pour laquelle la maternité des Lilas – jusque-là régie par une association à but non lucratif – devrait pouvoir basculer, a priori, sans trop de difficulté dans un statut de service public.

Néanmoins, si la fonction publique échappe, jusqu’à certaines limites, aux règles de la marchandisation de l’activité elle-même, les salarié·es du public, par contre, sont soumis·es, comme dans le privé à l’obligation de monnayer leur force de travail sur le marché de l’emploi. Le fameux « statut de fonctionnaire » est, certes, plus « protecteur » que celui du salarié du privé mais la tendance est à la réduction drastique des fonctionnaires. C’est un sujet qui nous vaut même régulièrement une surenchère électorale. Le recours aux contractuels est devenu monnaie courante pour assurer les missions de service public.

Enfin, signalons que l’État, qui règne en grand ordonnateur sur les trois versants de la fonction publique, joue son rôle de régulateur de l’activité économique afin que l’accumulation du capital continue de fonctionner dans les conditions optimales, y compris en situation de crise (sanitaire, économique, de conflit armé, climatique…). Pour cela, le travail doit obéir essentiellement aux critères de rentabilité et de productivité. C’est une représentation générale du monde, conforme à la réalité du moment. Ceux et celles qui en profitent consacrent toute leur énergie à tâcher de convaincre qu’aucune autre n’est possible. Cette vision du monde s’impose avec tous les moyens légaux de coercition dont dispose le pouvoir régalien, y compris dans le service public.

Depuis plusieurs années, toutes dispositions réglementaires – lois et décrets – convergent selon la même logique visant à miner de l’intérieur la moindre parcelle de remise en cause de la sphère marchande qui pourrait exister dans le service public, afin que ce dernier s’intègre au mieux dans les canons de l’économie libérale.

Cette politique se traduit notamment sur le terrain par des réductions de postes et des fermetures de services. Les conditions de travail dégradées qui sont imposées aux agent·es du service public entraînent une dégradation immédiate de la « qualité du service rendu ». C’est le cas, notamment, de la fonction publique de santé, que nous avons déjà évoquée et sur laquelle nous reviendrons.

Tout porte à croire que, tôt ou tard, la rationalité managériale menacerait de façon encore plus forte le service de la maternité des Lilas, s’il était intégré – dans la gueule du loup, même – en tant qu’établissement de service public. Sans rapport de force social, permettant d’imposer, ici et ailleurs, ce service dans sa globalité et son intégrité, il sera difficile d’envisager qu’il soit préservé en tant que service public, alors même qu’il est mis en cause dans son cadre associatif actuel.

Telle est la principale raison pour laquelle la maternité des Lilas ne serait pas sortie d’affaire en intégrant le service public, même si cela se faisait dans les conditions que nous proposions en 2013 (financement et intégration de la totalité de l’activité dans une nouvelle structure indépendante, sans aucun adossement).

La maternité des Lilas serait encore moins sortie d’affaire si, en toute hâte et amputée, elle était débarquée dans un hôpital public, comme un chien dans un jeu de quilles, tel que le prévoit aujourd’hui l’ARS (j’y reviendrai plus loin).

En rejoignant le service public de santé, sans imposer de conditions particulières à sa survie, elle risque de perdre son identité, exactement de la même façon que si elle atterrissait dans le privé, après un adossement.

La maternité des Lilas, en tant que service, représente incontestablement une singularité que nous avons largement exposée et qu’il ne faudrait pas oublier sous prétexte qu’elle change d’environnement. C’est cette spécificité féministe qu’il faut défendre et qu’il faudra continuer de défendre, quel que soit son statut juridique.

Les risques de la perte des spécificités et de l’identité de la maternité des Lilas, après absorption – que se soit dans le privé ou dans le public – ne doivent pas être sous-estimés.

Il n’y a pas de solution miracle mais la prise en compte du réel ne doit pas laisser la place à l’abattement. Essayons de sortir de ce cul-de-sac en nous hissant sur la pointe des pieds pour explorer ce qui s’y passe.

Nous avons vu que, dans la communication de la maternité des Lilas, la crainte d’être assimilée au système général de santé, s’exprime souvent par la figure repoussoir de « l’usine à bébés ». Disons-le clairement : cette expression dénote une forme d’élitisme particulièrement pénible. Pour autant, je suggère de ne pas nous en tenir à cette critique épidermique. Laissons de côté la figure repoussoir et saisissons-nous de l’expression elle-même pour la confronter au réel.

La formule « usine à bébés », avec tout ce qu’elle révèle de ses locuteurs, du point de vue de leur ancrage social, me semble très intéressante sur le fond, pour ce qu’elle signifie sur le plan politique, au-delà même du cas particulier de la maternité des Lilas.

Je propose donc de partir de cette expression pour tâcher de voir comment la maternité des Lilas pourrait se battre politiquement pour conserver son identité féministe tout en intégrant de plein droit le service public de santé.

À propos des usines à bébés

En première approche, « usine à bébés » est une formule qui dénonce les conditions ordinaires ayant cours dans les autres maternités. De prime abord, n’étant nullement qualifié sur ces sujets, il m’est difficile de porter une appréciation rigoureuse pour savoir si cette formule est conforme à la réalité.

Considérons que le constat général quant à l’état désastreux des services de Santé en France, proposé notamment au début du présent billet, semble largement partagé par les professionnel·les et par le public. Si tant est que la formule « usine à bébés » est censée décrire ce type de situations rencontrées dans les hôpitaux, alors on pourrait sans réserve l’approuver19.

L’expression « usine à bébés » n’est probablement pas reprise, en tant que telle par les professionnel·les travaillant dans les maternités publiques de niveau 3. Toutefois, le documentaire d’Envoyé spécial, intitulé « Hôpital public, la loi du marché »20, présente un salarié qui dénonce le fait que l’on impose aux hôpitaux publics des méthodes de management réservées, jusque-là, aux secteurs d’activités industrielles. Voilà qui pourrait confirmer en grande partie le sens donné à l’expression « usine à bébés ».

Par ailleurs, je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement entre la formule « usine à bébés » et l’expression « Pas de bébés à la consigne » qui est le nom donné par un groupe de professionnel·les et d’usagers, constitué en 2009, pour dénoncer les conditions d’accueil des structures d’accueil de la petite enfance21. Ce que l’on comprend tout de suite dans les revendications de ce mouvement, c’est qu’à cause des conditions imposées par l’État, ces structures ne sont pas conformes à ce que l’on est en droit d’attendre d’un service public pour accueillir les enfants (et pas « nos enfants »).

Dans un cas comme dans l’autre, on retrouve le même type de dénonciation du caractère industriel : les conditions sont indignes et inacceptables ; usagers et personnel étant proprement déshumanisé et rendus à l’état d’objets. C’est une remise en cause fondamentale de la relation sociale, proprement humaine, sur laquelle repose l’acte médical et du soin. Le fait que ces méthodes s’appliquent au domaine de la petite enfance constitue un facteur aggravant.

Du point de vue des salarié·es, ce qui est en jeu n’est rien de moins qu’une remise en cause fondamentale du sens donné au travail.

Au-delà du secteur de la santé, cette attitude critique vis à vis de « leur » travail, s’impose de plus en plus parmi les salarié·es, notamment chez les nouvelles générations, quels que soient le secteur d’activité et le niveau hiérarchique.

Les contraintes quantitatives imposées aux conditions de travail (effectifs réduits, amplitude horaire, temps global, temps fractionné, rythme des procédures, durées assignées aux tâches, rationalisation, automatisation, dématérialisation…) entraîne une dégradation qualitative qui provoque un malaise profondément ressenti par les salarié·es. Ces personnes éprouvent de la honte à faire du « mauvais travail », comme l’expriment, aussi, à leur façon, les professionnel·les et les usagers de la maternité des Lilas en stigmatisant, par anticipation, les « usines à bébés ».

Toutes choses étant égales par ailleurs, c’est exactement le même type de reproche qui était adressé, au début du 19e siècle, quand les artisans s’opposaient, notamment par le bris de machines, à l’introduction de méthodes industrielles, notamment dans le textile. La systématisation des process de production automatisés a eu comme effet de remettre en cause le rôle qu’avaient, jusque-là, ces artisans sur le contrôle de la production, de par leur savoir-faire. Selon le point de vue de ces artisans réfractaires (qu’ils soient ou non identifiés comme « luddites »), la contrainte technologique, non seulement menaçait les emplois mais elle niait leur expertise et les obligeait à réaliser des produits de mauvaise qualité, en les assignant à des procédures technologiques ne respectant pas les règles de l’art22.

Aujourd’hui, les pratiques professionnelles des salarié·es des hôpitaux publics, dans leur globalité, sont également menacées par une remise en cause des savoir-faire, entraînant une dégradation humiliante de la qualité du service rendu. C’est aussi le cas, comme nous l’avons vu, pour les salarié·es de la maternité des Lilas, même s’il ne s’agit pas exactement des mêmes conditions ni des mêmes pratiques.

Revenons à notre préoccupation stratégique, concernant la maternité des Lilas, en posant la question suivante : les mêmes causes produisant les mêmes effets, ne serait-il pas pertinent de rejoindre le secteur professionnel de la santé, dans son ensemble, pour viser à obtenir, par la lutte sociale, avec le public, des améliorations globales ?

Tel est en tous cas, la seule stratégie, après avoir évacué l’employeur actuel, qu’il me semble réaliste d’envisager pour sauver réellement la mater. C’est ce que je propose d’aborder, en guise de conclusion.

Sanctuaire ou partage ?

Face à l’obstruction de l’ARS, il y avait deux solutions pour sortir de la nasse.

La première consiste à essayer d’obtenir que la maternité des Lilas reste une exception, alors même que l’État engage l’offensive pour qu’elle soit supprimée. Dans ce cas, on adopte une posture défensive, en tâchant de « sanctuariser son domaine d’exception ».

L’autre solution se situe à l’opposé : il s’agit de revendiquer clairement la légitimité du service de la maternité des Lilas en luttant pour qu’il s’intègre dans le lot commun des pratiques disponibles dans la politique de santé et qu’il soit reconnu en tant que service public à part entière. Au-delà de cet objectif stratégique, le meilleur moyen pour pérenniser ce service – puisque nous savons qu’il est potentiellement menacé – serait de le développer, en tant que pratique utilisable dans la fonction publique par d’autres structures, sans pour autant qu’il devienne « la règle ».

Il n’était pas possible de tenir les deux stratégie de front. Nous étions, à la CGT, partisans de la seconde solution et c’est la première qui a été choisie.

Onze ans après, la question de l’intégration au service public revient mais, cette fois-ci, les conditions imposées par l’ARS ne sont plus du tout les mêmes, puisque la maternité est découpée en deux morceaux.

Selon le schéma de l’ARS, l’orthogénie resterait aux Lilas, sans l’accouchement physiologique. Comme je l’ai déjà signalé, plus rien ne distinguerait, alors, cette structure d’un autre service du même type. De ce côté-là, donc, exit la mater.

Quant à la pratique de l’accouchement physiologique, elle serait en quelque sorte, mutilée, car dissociée de l’orthogénie. Mais, de façon plus essentielle, cette pratique serait potentiellement en sursis car il est fort probable que sa greffe avec une structure hospitalière classique soit, en l’état, pratiquement impossible, ce que l’ARS ne peut ignorer.

Les salarié·es de ce qu’il conviendrait alors d’appeler un « département accouchement » des Lilas, seraient donc transplanté·es dans un hôpital public.

Ces salarié·es auraient toutes les peines du monde à faire entendre à leurs collègues que les accouchements physiologiques nécessitent plus de moyens, en personnel et en heures, que pour « les accouchements ordinaires », alors même que la situation des maternités de service public, ne permettent déjà plus d’accueillir le public de façon satisfaisante 23!

Autant dire que, dans ces conditions, il sera très difficile pour ces salarié·es lilasien·nes d’obtenir des équipes en place dans l’établissement d’accueil une attitude compréhensive et solidaire. Surtout s’il s’agit – dixit – d’une « usine à bébés ».

Voilà pourquoi, dans les conditions imposées par l’ARS et si les salarié·es des Lilas restent dans la posture défensive de « sanctuariser une exception », le risque d’une disparition pure et simple de l’accouchement physiologique, après bref passage en service public, semble aujourd’hui hautement probable.

Le seul moyen d’éviter ce risque serait d’adopter une posture de lutte offensive et solidaire en sortant de l’isolement et en rejoignant les revendications du secteur professionnel. Cela commencerait déjà par indiquer clairement que la dénonciation des « usines à bébés » ne signifie nullement la stigmatisation des collègues mais la nécessité de constituer un rapport de force pour combattre ce scandale. Et qu’on y va tous et toutes ensemble ! Ça va mieux en le disant.

Là encore, ma position peu sembler quelque peu radicale, voire irréaliste mais y a-t-il d’autres choix ? Les faits ont montré qu’il est illusoire de penser que vous puissiez gagner, en restant isolé·es quand, précisément, le jeu de l’adversaire repose sur votre isolement et l’intérêt que représente pour lui cet isolement en tant que division interne au potentialités sociales de contestation.

Alors essayons ensemble d’en sortir ! La politique de la main tendue vers les collègues des autres hôpitaux et des autres maternités pour construire une solidarité active de lutte contre le patron, contre l’État, représente déjà une énorme avancée dans cette direction. L’intention doit primer. Une fois que cette intention est clairement acquise, nul doute que les moyens viendront d’eux-mêmes pour agir. Les relais syndicaux ne manquent pas ; il y en a déjà trois dans la maternité, n’est-ce pas ?

La situation de la santé publique est en crise ? Personne n’en doute. Les frontières sont-elles à ce point étanches entre la maternité des Lilas et les hôpitaux publics, qu’il soit impossible d’intégrer les revendications spécifiques de l’une dans le cadre revendicatif général de l’autre et que tout le monde s’y retrouve ?

Les professionnel·les de santé sont confronté·es à des logiques industrielles qui les obligent à faire du travail de mauvaise qualité, au détriment du respect des usagers.

Des usines ont été mises en place sur le territoire, en guise d’hôpitaux. Les usagers sont traités comme des produits. Le personnel est en partie composé d’une main-d’œuvre en sursis, attendant d’être remplacée par des robots ou des service dématérialisés. Quant à l’autre partie, il s’agit de personnes contraintes de se comporter comme des machines.

Quelle autre solution avons-nous que de nous unir – salarié·es et usagers – pour combattre frontalement cette politique délirante et imposer un service public de santé résolument ouvert et immédiatement accessible aux besoins de la population ?

Revendiquer la dimension proprement humaine des savoir-faire professionnel, contre la logique industrielle, c’est aussi affirmer, dans ce cas, qu’il faut respecter les choix et les décisions des professionnel·les et de la population usagère des services publics.

Personne ne demande que les pratiques professionnelles de la maternité des Lilas s’appliquent à tous les services de santé mais nous combattons l’arbitraire selon lequel elles devraient subitement disparaître, au nom d’une uniformisation technocratique, alors qu’elles existaient depuis près de 60 ans, qu’elles n’empêchaient qui que ce soit de continuer à pratiquer des « accouchements classiques » et qu’aucune raison sanitaire ou médicale ne justifie leur disparition.

Si l’on remet en cause l’arbitraire dont est victime la maternité des Lilas il faut aussi le faire contre l’arbitraire qui sanctionne le système de santé dans son ensemble car la maternité n’échappe pas au cadre général.

La logique de l’État consiste à rationaliser de façon générale des procédures applicables à l’ensemble du territoire pour répondre aux besoins du marché. C’est en cela qu’il s’agit de logique industrielles. Ce sont les mêmes logiques stupides qui nous conduisent déjà aujourd’hui, de façon générale, dans le mur, notamment celui du choc climatique. Combattre la logique industrielle c’est sortir de la logique planificatrice bornée pour laquelle une seule et unique procédure rationnelle devrait s’appliquer sur tout le territoire.

L’accouchement physiologique est une richesse mais il ne s’agit pas pour autant d’en faire une généralité ou un modèle, contrairement aux logiques de planification industrielle. Je connais beaucoup de personnes, tout à fait honorables, qui connaissent très bien la maternité des Lilas et qui n’ont pas souhaité y accoucher, préférant un autre établissement. Ces personnes, aussi, ont fait un choix, tout aussi respectable que celles ayant choisi d’accoucher aux Lilas. Au nom de quoi ne serait-il pas possible d’intégrer dans le même système de santé global ces différentes méthodes d’accouchement ?

La prise en compte de l’état de délabrement dans lequel se trouve le système de santé en France est l’une des priorités immédiates du moment. Quels que soient les moyens par lesquels on envisage d’y arriver, il est urgent de résoudre les problèmes de santé publiques de plus en plus préoccupants dont nous sommes tous et toutes témoins et victimes. Tôt ou tard, il faudra bien recenser les besoins qui s’imposent dans ce qui s’apparentera à des états généraux de la santé. Parmi ces besoins, il est importants que figure en toute légitimité le service de la maternité des Lilas, car les pratiques correspondant à ce service ne sont, comme nous l’avons déjà souligné, ni des problématiques locales ni des préoccupations de catégories sociales privilégiées.

Ne deviendrait-il pas urgent que les pratiques féministes de l’accouchement physiologique, l’IVG et le planning familial, considérées comme un bloc indissociable, soient mises pour de bon au patrimoine commun et copiées par d’autres établissements ?

Alors, il faut s’en donner les moyens en rejoignant la lutte sociale pour une amélioration immédiate du service public de santé et en étant force de proposition, avec tou·tes les professionnel·les concerné·es et la population ! C’est à la maternité des Lilas, sortant de son statut d’objet et accompagnée de son réseau de sympathisant·es, qu’il revient d’engager cette démarche.

Voilà une perspective qui semble autrement plus enthousiasmante que d’essayer de sanctuariser, en vain, le mythe improbable d’une exception confirmant la règle.

1En particulier, pendant plusieurs mois, les trois pieds nickelés de la CGT des Lilas – Jean-Pierre, Alain et moi – s’incrustent à côté des partis politiques, sur le marché des Lilas pour soutenir « la lutte de la maternité » en distribuant des tracts.

2Je ne suis plus militant de la CGT depuis que je suis en retraite.

3Je pense bien sûr à l’évocation du « village », omniprésente, aux Lilas (d’où le titre de ce blog). Le village lilasien, chérissant une forme d’entre-soi local, social, culturel, voire politique me rend parfois la fréquentation de cette ville totalement étouffante et insupportable, alors que j’y ai vécu, travaillé et milité pendant plus de 30 ans. Mon copain Jean-Pierre Blouch évoquait très justement à ce propos la rengaine du « village gaulois ».

4Autre exemple, dans un tout autre registre et plus récent, d’une lutte sociale ayant débouché sur un recul de l’État : Notre-Dame-des-Landes.

5Claude Bartolone, Pierre Laurent, Jean-Luc Mélenchon, Philippe Poutou, Harlem Désir, Eva Joly, Arlette Laguiller, Marie-Georges Buffet…

6https://www.senat.fr/questions/base/2014/qSEQ14100909S.html

7Voir Accouchement physiologique: quel avenir ?

8Au sens où je considère que le sort politique des choses ne dépendent pas fondamentalement d’un.e Pierre, Paul ou Jacqueline, qu’il suffirait de placer aux commande de « machines à gouverner ».

9https://ulcgt-bagnolet.fr/Maternite-des-Lilas-rassemblement-du-dimanche-8-mars-2015

10Cette splendide mobilisation est souvent éclipsée par celle des gilets jaunes, cette dernière l’ayant précédée de quelques mois. On aurait tord de ne pas considérer que la lutte contre la réforme des retraites de 19-20 représentait aussi une certaine forme de rupture dans le déroulement classique des mobilisations syndicales. Je considère pour ma part, qu’il y a eu une continuité entre ces deux phases distinctes et spécifiques de mobilisation sociale : gilets jaunes, puis retraites. Tout s’est arrêté, après, avec le confinement. Comme quoi, il faut croire que, dans ce pays, les humeurs sociales retombent toujours aussi vite qu’elles ont monté. Comme un soufflé. D’habitude, c’est à cause des vacances. Là, on a d’abord cru qu’on nous ferait le coup des élections, mais, finalement, c’est le COVID19 qui a joué le rôle de grand étouffoir.

11Mon employeur, à l’époque, avec qui, par ailleurs, en tant que syndicaliste, les relations n’étaient pas toujours des plus simples ni des plus cordiales (ce qui est, après tout, assez logique).

12Les manifs pour la maternité, sans l’exprimer explicitement en ces termes, avaient un petit air de « tout le monde aime la mater » exact opposé du désormais célèbre « tout le monde déteste la police ».

13En 2018, un homme transgenre a donné naissance à une petite fille, à la maternité des Lilas. Cela signifie que, désormais, les femmes ne sont pas les seules concernées par l’accouchement. La maternité insiste pour revendiquer cet ouverture à la diversité de genre dans l’accueil du public.

14Quand j’évoque les salarié·es, cela signifie toutes les personnes travaillant à la maternité : de bas en haut de l’échelle hiérarchique, y compris les cadres.

15Rappelons le rôle déterminant de l’article du Monde du 28 août 2022, qui met en cause les dérives de gestion de l’association Naissance : https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/28/la-maternite-des-lilas-histoire-d-une-gabegie-financiere_6139289_3224.html
Un autre exemple, relativement rare d’article où il est question du gestionnaire : https://www.lesechos.fr/pme-regions/ile-de-france/menacee-de-fermeture-la-maternite-des-lilas-a-un-an-pour-presenter-un-projet-viable-1404310
Pour illustrer, enfin, un rare exemple d’article dans lequel il était question de l’association Naissance pendant la période précédente, cet article de Politis, de 2015 : http://www.politis.fr/articles/2015/04/une-opa-sur-la-maternite-des-lilas-30687/

16La CGT, en 2013 évoquait déjà l’opacité en matière d’accès aux informations concernant la gestion de la maternité : https://cgt-territoriaux-leslilas.org/IMG/pdf/maternite_lilas_juin_2013.pdf

17Article du Monde déjà cité, ci-dessus.

18https://cgt-territoriaux-leslilas.org/IMG/pdf/tract_maternite_10092013.pdf

19On trouvera une multitude de témoignages confirmant que l’état de délabrement des services de santé; notamment :https://blogs.mediapart.fr/laurent-thines/blog/051122/adresse-aux-francais-pour-stopper-la-mise-mort-de-nos-hopitaux-publics

20https://youtu.be/u3GPZJhbdlE

21https://pasdebebesalaconsigne.com/ Voir également l’article sur VST consacré à ce regroupement.

22Voir notamment sur ce sujet Les luddites en France, Résistance à l’industrialisation et à l’informatisation – l’échappée, ainsi que ce texte, de la revue Tumultes, en ligne.

23https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/07/01/au-moins-10-des-maternites-en-fermeture-partielle-selon-un-syndicat-de-sages-femmes_6132931_3224.html

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